De Body Worlds à Our Body

par Christophe Maillot chez Art et Sciences (10/04/2009)

En ce début de XXIème siècle les expositions anatomiques font recette. Elles suscitent à la fois fascination et répulsion auprès du grand public et des médias. Les expositions du professeur von Hagens, anatomiste à l’origine d’un procédé de conservation des corps, et ses concurrents divisent sur leurs rôles supposés pédagogique et artistique. Retour sur ces manifestations et la technique de plastination.

Le professeur von Hagens et ses concurrents…

gunther von hagens et son art

Certaines expositions ne laissent pas indifférents et suscitent le débat. Celles de l’anatomiste allemand Gunther von Hagens sont de cette veine-là. Doctorant de l’université de Heidelberg en 1975 puis maître de conférences à l’institut d’anatomie et de pathologie pendant 22 ans, von Hagens est connu à travers le monde pour sa technique de plastination. Inventée en 1977, il s’agit d’un procédé qui permet de préserver les organes et les tissus biologiques en remplaçant les liquides organiques par du silicone – un polymère -, ce qui vaut à cette technique d’être également dénommée « imprégnation polymérique ».

Dans un premier temps, von Hagens utilise la plastination pour conserver de petits spécimens ou encore différents organes dans un but pédagogique. Par la suite l’amélioration de sa technique conduit l’anatomiste allemand à expérimenter son procédé sur des corps humains entiers. Devant la réussite de ses préparations, von Hagens se constitue une place particulière dans le monde de l’anatomie. Il dépose plusieurs brevets entre 1978 et 1984, crée en 1982 le programme Body Donation et fonde en 1993 l’Institut de Plastination à Heidelberg. Pendant cette décennie de développement, von Hagens crée également sa propre compagnie, BIODUR® products, qui commercialise à travers le monde les produits et équipements utilisés pour la plastination. Selon le site de la compagnie, près de 400 institutions dans une quarantaine de pays utilisent ce procédé à des fins pédagogiques.

the thinker art piece by von hagens

Une première exposition de ses préparations anatomiques se tient alors au Japon en 1995. Très polémique, elle attire près de 3 millions de visiteurs. Fort de ce succès, von Hagens en réalise d’autres les années suivantes sous le nom de Körperwelten en Allemagne et Body Worlds dans les autres pays. C’est ainsi une véritable franchise d’expositions itinérantes qui s’exportent à travers le monde dans plus de 50 pays (Amérique du Nord, Europe et Asie), attirant plus de 26 millions de visiteurs et engrangeant plus de 200 millions de dollars de recette.



A partir de 1999, la préparation des corps s’effectue dans le centre de plastination de von Hagens situé près de la ville de Dalian dans le Nord-Est de la Chine où siège la Dalian Medical University. Les années suivantes, sa présence dans cette région du pays va conduire à l’apparition d’autres laboratoires de plastination sous l’impulsion d’investisseurs désireux de produire à leur tour des expositions anatomiques. Les autorités sont peu regardantes, les étudiants en médecine sont en nombre et l’accès aux corps ou organes se fait facilement, autant de conditions favorisant l’émergence de concurrents. C’est ainsi que de nouvelles expositions sont apparues sur ce qui paraît être aujourd’hui un véritable marché de l’exposition anatomique.

On dénombre aujourd’hui plusieurs expositions concurrentes (produites par diverses compagnies), telles que « Body Exploration », « Mysteries of the Human Body« , « The Universe Within » et « The Amazing Human Body Exhibition ». Ceci engendre la confusion auprès des médias et du public qui, bien souvent, ignore qu’il ne s’agit pas du travail de Gunther von Hagens. Premier Exhibitions, une compagnie américaine, semble cependant s’imposer comme un sérieux concurrent de von Hagens. A l’origine de l’exposition à succès « Titanic – the artifact exhibition », l’entreprise produit aujourd’hui « Bodies…The exhibition ».

De Body Worlds à Bodies, les corps plastinés ne sont pas justes exposés au public tels quels. Ils sont mis en scène, représentés dans des positions et attitudes typiquement humaines, mais aussi reproduisant des activités que tout être vivant pourrait pratiquer. Courir, tirer à l’arc, faire du vélo ou encore jouer aux échecs.

affiche : bodies the exhibition
affiche : titanic the artifact exhbition

L’éthique est mise à mal par ces expositions. De nombreuses questions se posent sur l’origine de ces corps et les conditions dans lesquels ils ont été acquis. Dans certaines expositions, les individus plastinés sont tous asiatiques. Condamnés à mort ? Prisonniers décédés? Des rumeurs qui alimentent la polémique autour du peu de transparence envers le travail effectué à Dalian.

Premier Exhibition soutient que tous les corps exposés sont ceux de personnes dont les dépouilles n’ont pas été réclamées et ont été obtenues en toute légalité. Du côté de Body Worlds, l’anatomiste allemand garantit que tous les corps sont issus de son programme Body donation, piloté par l’Institut de Plastination et ont été légués avec l’accord des défunts de leur vivant ou de leur famille. 90% des donneurs seraient d’origine allemande. A la fin de l’année 2006, von Hagens a ouvert un centre de plastination en Allemagne, dans la ville de Guben près de la frontière polonaise.

La pédagogie des expositions est également remise en question. Si les expositions concurrentes se réclament pour la plupart comme éducatives et semblent l’être réellement, à l’image de Our Body – A corps ouvert – en France, le constat est plus délicat en ce qui concerne Body Worlds. Les mises en scène de von Hagens n’ont parfois plus rien à voir avec l’anatomie, mais plutôt une forme artistique qu’il n’hésite pas à revendiquer. Une dimension de son travail qui pose le problème de la définition même de l’art et aussi du statut de ces corps. Sont-ils toujours considérés comme des humains ou au contraire comme des objets ?

Our Body – à corps ouvert, les expositions anatomiques ouvrent leurs portes en France

affiche : our body - à corps ouvert

Enième exposition concurrente, sans lien avec Gunther von Hagens, la version hexagonale de ces manifestations anatomiques, appelée Our Body – à corps ouvert, a eu du mal à s’imposer. La cité des Sciences et de la Villette et le Musée de l’Homme avaient refusé de présenter cette exposition suite à un avis négatif du Comité national d’éthique en raison de l’opacité concernant l’origine des corps. Les organisateurs ont finalement pu ouvrir leur exposition au grand public. Tout d’abord à Lyon, au printemps 2008, puis à Marseille, à l’automne de la même année et actuellement à Paris.
Les corps des six salles thématiques (système musculo-squeletique, digestif, cardio-vasculaire, respiratoire, uro-génital et nerveux) sont accompagnés de schémas légendés permettant aux visiteurs de repérer les différents muscles, os, organes ou encore vaisseaux de notre organisme. Il est ici impossible de remettre en cause la visée pédagogique de l’exposition. Si nombres d’étudiants en médecine sont sans doute intéressés par cette approche, il est intéressant de se demander ce que le public néophyte en ce domaine peut bien en retirer.

Durant le parcours, aucun visiteur ne semble manifester un dégoût particulier à la vue des ces corps disséqués. D’ailleurs au détour d’une des salles, il n’est pas rare d’entendre certains commentaires. A l’image de cette homme, accompagné de sa femme, qui à la vue d’une colonne vertébrale s’exclame « …tu sais, on lui a dit qu’elle avait un disque écrasé… ». Ou encore ces deux femmes âgées devant le joueur d’échec, un corps assis devant un échiquier le dos ouvert exposant sa colonne vertébrale jusqu’au fessier, l’une d’elle expliquant qu’elle avait eu une hernie discale tout récemment en montrant à son amie la zone concernée.

De telles réflexions de la part du public, et ce ne doit pas être les seules, montrent que les visiteurs ramènent ce qu’ils voient à leurs propres vécus, proches ou non. Cela témoigne du désir du public d’acquérir certaine connaissance qu’ils n’ont pas et d’un souci de mieux comprendre comment fonctionne leurs corps. Il est vrai que lorsqu’un médecin fait son diagnostic, le patient a souvent bien du mal à comprendre de quoi il s’agit vraiment, à moins d’être dans un cas concret. Ce ne serait pas trop s’avancer de dire qu’au vu des questions que se posent les visiteurs, cela soulève le problème de la transmission des savoirs médicaux, à l’image des diverses disciplines scientifiques et de la recherche, souvent mal connues par le grand public.

L’anatomie est un sujet qui concerne chacun d’entre nous et qui touche à notre intimité, car il n’y a rien de plus intime que d’explorer le fonctionnement de notre organisme. Ce face à face avec ces corps plastinés peut d’ailleurs être assez troublant, voir irréel en raison de leur représentation qui n’est pas celle que tout un chacun se fait de l’Homme dans sa vie de tous les jours. Mais aussi par le fait que ces corps ont été un jour animés de vie et qu’ils sont maintenant exposés sous nos yeux.

 Les étapes de la plastination

1ère étape : L’embaumement et la dissection
Afin de prévenir la décomposition, du formaldéhyde (formol) est injecté dans le corps. Puis la dissection nécessaire à la mise en évidence d’une partie ou de toute l’anatomie est réalisée.

2ème étape : Elimination des fluides organiques et des graisses
Le corps est ensuite placé dans un bain d’acétone à très basse température afin de dissoudre les fluides organiques (l’eau et le sang) et les graisses.

3ème étape : Imprégnation forcée

Les fluides organiques et les graisses éliminés sont remplacés par du silicone de caoutchouc, un polymère. Pour cela, le corps est cette fois-ci plongé dans une cuve hermétique constitué de ce solvant. Une pompe à vide aspire l’air contenu dans la cuve, la baisse de pression permet alors l’ébullition de l’acétone. Ce liquide très volatile s’élimine ainsi facilement et permet de laisser place au polymère.

4ème étape : La mise en forme
Le corps est positionné selon l’attitude désirée à l’aide de câble et de pinces.

5ème étape : Durcissement

Pour conserver la mise en forme, le corps est durci par un gaz ou de la chaleur.

La dissection et la plastination d’un corps humain entier peuvent représenter 1500 heures de travail et prendre une année complète.
 

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 (2/3) : Honoré Fragonard et ses écorchés
 (3/3) : Interview de Christophe Degueurce


Sources et références :
 The New York Times : “China Turns Out Mummified Bodies for Displays”.
 BBC News :“Corps show opens to more criticism”.
 The Guardian : “World trade in bodies is linked to corpse art show”.