par Guillaume Achard-Vincent chez Art et Sciences (07/04/2011)
Derrière l’acronyme AGLAE se cache un instrument hérité de la recherche de pointe en physique nucléaire qui a permis la résolution de nombreuses énigmes artistiques et archéologiques !
l’Accélérateur Grand Louvre d’Analyse Élémentaire (AGLAE)
Installé en décembre 1987 au centre de recherche et de restauration des Musées de France (C2RMF), dans les locaux du Louvre et inauguré en 1989 par le ministère de la Culture et de la Communication, l’Accélérateur Grand Louvre d’Analyse Élémentaire est un appareil d’analyse chimique destiné à l’étude des oeuvres d’art et d’archéologie.
Il s’agit du seul accélérateur à particules au profit des musées, constituant la méthode la plus performante qui soit pour l’analyse de la composition en éléments chimiques d’un objet.
De ce fait il permet d’obtenir des résultats en quelques minutes seulement et surtout sans qu’aucun prélèvement sur l’oeuvre ne soit nécessaire.
AGLAE : le langage des atomes
Construit par la société américaine National Electrostatics Corporation, l’accélérateur électrostatique AGLAE est équipé de deux sources d’ions : l’une pour la production de protons et de deutérons (noyaux de Deutérium), l’autre pour celle des particules alpha.
L’accélération de ces particules à des énergies avoisinant quelques millions d’électronvolts permet d’exciter faiblement et de manière non destructive les atomes constituant les matériaux des oeuvres d’art. Cette excitation entraîne une émission d’un rayonnement pour l’objet analysé qui sera ensuite étudié via différentes méthodes.
Un avantage de ces analyses par émission d’ions est de pouvoir guider avec précision le faisceau de particules de façon à ce qu’il percute un détail de l’oeuvre.
Ces particules accélérées pénètrent peu la cible et ne sondent donc que sa surface.
Sous l’impact du faisceau un grand nombre d’atomes de l’objet est perturbé et renvoie alors un rayonnement caractéristique qu’il est possible d’analyser. La méthode d’analyse PIXE (pour Particle Induced X-ray Emission) détecte les rayons X issus des couches profondes de l’atome permettant ainsi de déterminer et de mesurer avec précision sous forme de spectre la composition chimique du matériau. D’autres méthodes d’analyse existent également. Parmi celles-ci, la technique de Rétrodiffusion Rutherford (RBS) qui se base sur la mesure des particules qui «rétro-diffusent», c’est à dire qui rebondissent vers l’arrière, suite à leur collision avec des noyaux lourds. Une autre, toutefois moins employée, appelée méthode PIGE (Particle Induced Gamma-ray Emission) permet d’analyser les rayons gamma caractéristiques d’un noyau léger qui sont émis lors de la réaction nucléaire de celui-ci avec une particule du faisceau d’ions.
Un outil moderne au service de l’Art
Ces différentes méthodes d’analyse, alliant une grande sensibilité à un respect total des objets patrimoniaux, ont permis de multiplier les études de caractérisation de matériaux précieux d’oeuvres d’art conservées au musée du Louvre.
Grâce à celles-ci nombreuses sont les énigmes archéologiques qui ont pu être percées. La statuette d’Ishtar, déesse babylonienne de l’amour et de la guerre, découverte à Hillah en Mésopotamie en 1863 et conservée au Louvre depuis 1867 en est un parfait exemple. L’examen élémentaire en 1995 par AGLAE de ses pierres précieuses, supposées être jusqu’alors du verre a révélé tout autre chose… Les pierres analysées par méthode PIXE ont montré des traces d’alumine, d’oxygène et de chrome, constituants des rubis !
L’intérêt d’une telle découverte n’en reste pas moins archéologique. En effet, les rubis étaient à l’époque introuvables en Mésopotamie et leur comparaison avec pas moins de 400 rubis dont la provenance est actuellement connue renseigne sur leur origine Birmane, prouvant ainsi l’existence d’un approvisionnement en gemmes par les Mésopotamiens en Asie du Sud-Est.
Dans un autre genre : une tête égyptienne, acquise par le Louvre en 1923, s’est révélée après analyse par l’accélérateur à particules être moderne! En effet la composition chimique des deux verres de la tête bleue présentait de l’arsenic et du plomb en grande quantifié, caractéristiques de la fabrication des verres du XVIIIe siècle.
Pour nombre de chercheurs, l’accélérateur offre une solution technologique très efficace en termes de caractérisation physico-chimique de la matière et d’étude de la vie des objets si bien que le succès d’AGLAE a dépassé les frontières hexagonales.
Pour cette raison l’Union Européenne finance la venue à Paris, une fois par mois, de chercheurs européens pour l’analyse de leurs oeuvres. Des archéologues peuvent également en effectuer la demande, tandis que des tribunaux et des musées font appel au C2RMF pour authentifier des pièces.