Par Benjamin Gobereau chez Art et Sciences (08/04/2008)
Veste en peau humaine, lapin génétiquement modifié, steak de grenouille en culture, arbres clonés, poudre d’Adn ou injection de sang de cheval, les créations de l’art biotech sont étonnantes. Entre rêve et cauchemar, ces créations réalisées à l’aide des outils biotechnologiques les plus pointus montrent l’étendu des possibilités offertes par le progrès scientifique… et les nombreuses dérives qui pourraient en découler.
Ou nous mène la révolution biotechnologique ? C’est la question que pose l’art biotech. Fascinantes et effrayantes, les œuvres conçues pour la plupart en laboratoire sont à l’image des perspectives offertes depuis quelques années par le développement des biosciences.
Viande issue d’animaux clonés, culture d’OGM, thérapie génique, test Adn, les applications se sont rapidement multipliées ces vingt dernières années, et ce n’est que le début. Les possibilités offertes sont immenses et les scientifiques se ruent de plus en plus nombreux sur ces filières presque vierges. La recherche, principalement à visée industrielle, se lance dans une course à l’exploitation de ce jeune filon, sans prendre le temps de réfléchir sur l’importance des changements qui en résulteront.
Les artistes biotech comme Marion Laval-Jeantet, du duo français Art Orienté Objet, veulent sensibiliser le public aux questions que posent les biotechnologies. Pour elle, « l’artiste doit être un témoin de son temps. Il doit utiliser les moyens à sa disposition pour ouvrir des voies de réflexion. » En sortant les réalisations des laboratoires, les artistes posent de nombreuses questions et le débat est d’importance puisqu’il s’agit de répondre individuellement et collectivement à la question « A quoi devra ressembler le monde de demain ? »
L’animal biotech
A première vue, le passage aux biotechnologies modernes semble avoir creusé un peu plus l’écart séparant l’homme des autres espèces. L’humain contrôle, instrumentalise un peu plus le vivant. Les animaux subissent de nouvelles formes d’expérimentations : clonage, xénogreffe ou manipulations de gênes. Pourtant les découvertes montrent que cet écart est infime au niveau génétique.
Pour illustrer cette idée, Marion Laval-Jeantet souhaite se faire injecter prochainement du sang de cheval. En collaboration avec des laboratoires étrangers (suisses et lituaniens), elle a commencé la phase préparatoire de l’opération en se faisant injecter des « vaccins » d’immunoglobulines de la thyroïde et du foie. « Je ne sais pas quel en sera le support artistique mais cette expérience, plus qu’un simple exemple vulgarisateur répond à mes propres curiosités. Quels seront les effets physiques, bien sur, mais aussi quels changements sur mes perceptions ? »
Dans un autre registre, les Australiens de Symbiotica se sont penchés sur l’utopie d’une production de protéines animales « sans victimes. » Ce collectif de l’université de Perth dispose du premier laboratoire de biotechnologie dédié à la production artistique. Dans leur installation Disembodied Cuisine (cuisine désincarnée) exposée à Nantes en 2002, des cellules musculaires de grenouilles mises en culture se multiplient et s’amassent. En clôture d’exposition, les petits steaks formés sont dégustés en présence des grenouilles mères.
A Liverpool, le mois dernier, ils ont également présenté « victimless leather » pour l’exposition Sk-interface. Ces petites vestes de cuir organique sont issues de cultures de cellules de souris et transposent le même concept à l’univers du textile. Ces techniques de culture ne sont pas envisageables pour une production à grande échelle, mais laissent imaginer au spectateur un monde étrange ou l’exploitation animale pourrait même être complètement abolie. Un monde ou, pourquoi pas, le cuir comme la viande seraient produits à partir de cellules humaines uniquement.
Et l’homme créa…l’homme
C’est bien sûr lorsque l’art biotech s’attaque à l’homme qu’il touche le plus de points sensibles. Les « cultures de peaux d’artistes » d’Art Orienté Objet montrent dès 1996 que les biotechnologies peuvent être appliquées à tous. « Il fallait avoir une justification pour participer à ces expériences, par exemple appartenir à un groupe antivivisection, mais cela montre que des tests étaient déjà réalisés à partir de cellules humaines » expliqueMarion Laval-Jeantet.
Plus récemment, à Liverpool, l’artiste Sterlac diffuse la vidéo de son opération un peu spéciale : une greffe d’oreille humaine sur son bras gauche. Grâce à un système de micro et une connexion Bluetooth, cet organe devrait réellement permettre à l’artiste de percevoir des sons. Si le résultat n’a rien d’esthétique, la question posée est tout à fait pertinente : si l’homme en a la capacité, ira-t-il jusqu’à modifier lui-même ses propres caractères génétiques ? Comment seront acceptés de tels hommes génétiquement modifiés ?
Si la question aurait fait sourire il y a encore quelques années, le développement du commerce scientifique, notamment aux Etats-Unis, ne présage rien de bon. Sélection du sexe des bébés par diagnostic génétique pré-implantatoire des embryons ou la récente autorisation de commercialisation de viandes issues d’animaux clonés sans étiquetage spécifique ouvrent peut-être la voie à d’autres applications industrielles subversives. Pour parodier ce mercantile scientisme, Chrissy Conant propose de vendre des bocaux contenants ses propres ovules sous le nom de « caviar humain, ascendance caucasienne. » Au moins, les artistes osent toujours mettre le doigt sur les vérités qui dérangent, et ça c’est déjà rassurant.